Qu’est-ce que la Cyberpsychologie? Définition

Pourquoi se mettre à écrire un blog ? Pourquoi ne pas plutôt écrire une carte postale à quelqu’un sur un autre continent ? Tous les débuts sont difficiles, tous les commencements sont compliqués. Je suis psychologue de formation, je pense avoir eu trop tôt la possibilité de travailler où je le souhaitais. Et j’ai décidé d’explorer d’autres postes, dans d’autres secteurs, en apprenant des choses différentes. Aujourd’hui, à 45 ans et en plein 2025, j’ai décidé de commencer à prendre du plaisir en écrivant sur plusieurs blogs. L’un d’entre eux, celui-ci, porte sur la cyberpsychologie.

Mon objectif est d’apprendre et d’enseigner. Après quinze ans passés à donner des formations, je crois que la meilleure façon d’apprendre est d’enseigner. Et si ce que vous enseignez est ce que vous aimez le plus au monde, vous êtes quelqu’un de chanceux. J’espère ne pas être trop ennuyeux par moments et que vous trouverez les informations que vous recherchez. De plus, à la fin de chaque article, j’inclurai une bibliographie que je considère intéressante. Et sans plus tarder, commençons à définir la cyberpsychologie.

La cyberpsychologie représente l’un des domaines les plus dynamiques et innovants de la recherche psychologique contemporaine. À l’intersection de la psychologie traditionnelle et des technologies numériques, cette discipline émergente s’intéresse à l’étude des processus psychologiques, du comportement humain et des états mentaux en lien avec les environnements numériques.

Dans un monde où plus de 5 milliards de personnes sont connectées à Internet, où l’interaction sociale se déroule de plus en plus dans des espaces virtuels, et où nos expériences quotidiennes sont médiatisées par des écrans, la compréhension de l’impact psychologique de ces technologies devient fondamentale. La cyberpsychologie vise précisément à décoder cette nouvelle réalité qui façonne notre cognition, nos émotions et nos relations interpersonnelles.

Définition et périmètre de la cyberpsychologie

La cyberpsychologie peut être définie comme l’étude scientifique des processus psychologiques liés à tous les aspects de l’interaction humaine avec les technologies numériques, les environnements virtuels et les espaces en ligne. Le terme « cyber » dérive du mot grec « κυβερνήτης » (kybernetes) signifiant « pilote » ou « gouverneur », popularisé par Norbert Wiener dans ses travaux sur la cybernétique.

Cette discipline s’interesse à comment l’humain perçoit, traite et répond aux stimuli numériques, mais aussi à la façon dont les technologies influencent notre développement psychologique, notre identité et nos interactions sociales.

Contrairement à d’autres approches qui se concentrent uniquement sur les aspects technologiques, la cyberpsychologie maintient l’expérience humaine au centre de son analyse. Elle étudie l’impact bidirectionnel entre:

  • L’humain sur la technologie (conception, usage, adaptation)
  • La technologie sur l’humain (comportement, cognition, émotions)

Positionnement disciplinaire

La cyberpsychologie se situe à la croisée de plusieurs disciplines:

  • Psychologie: fournit les fondements théoriques et méthodologiques
  • Informatique: apporte la compréhension technique des systèmes
  • Neurosciences: permet d’explorer les bases cérébrales des interactions numériques
  • Sociologie: offre le cadre d’analyse des dynamiques sociales en ligne
  • Anthropologie: aide à comprendre les pratiques culturelles numériques
  • Sciences de la communication: éclaire les processus d’échange d’information

En France, cette discipline a commencé à s’implanter dans les années 2000, avec des centres de recherche comme le Laboratoire de Cyberpsychologie de l’Université Paris 8 et l’Institut de Psychologie Numérique à Lyon. En Suisse, l’Université de Lausanne et l’EPFL ont développé des programmes spécifiques, tandis qu’en Belgique, l’Université de Louvain a été pionière avec sa chaire de cyberpsychologie créée en 2012.

Émergence et développement historique

La cyberpsychologie n’est pas apparue du jour au lendemain, mais s’est développée progressivement en réponse aux avancées technologiques. Son évolution peut être divisée en plusieurs phases clés:

Précurseurs (1970-1990)

Les racines de la cyberpsychologie remontent aux premières études sur l’interaction homme-machine (IHM) dans les années 1970. Les chercheurs comme J.C.R. Licklider et Joseph Weizenbaum ont commencé à explorer comment les ordinateurs pouvaient influencer la cognition humaine. En France, des chercheurs comme Jacques Perriault ont posé les premières pierres d’une réflexion sur les usages des technologies.

Le terme « cyberpsychologie » n’était pas encore utilisé, mais les questions fondamentales étaient déjà posées: comment l’esprit humain interagit-il avec ces nouvelles machines? Comment la technologie modifie-t-elle notre façon de penser?

Formalisation (1990-2000)

La démocratisation d’Internet au début des années 1990 a catalysé l’émergence formelle de la discipline. En 1994, le psychologue britannique Andrew Keen publie « The Psychology of Cyberspace« , considéré comme l’un des ouvrages fondateurs.

En 1996, la première conférence internationale de cyberpsychologie se tient à Genève, réunissant des chercheurs de différentes disciplines. Cette période voit naître les premières revues spécialisées comme CyberPsychology & Behavior (1998).

Expansion (2000-2010)

L’arrivée du Web 2.0 et des réseaux sociaux marque un tournant décisif. Les laboratoires de recherche se multiplient, notamment en Europe francophone:

  • Création en 2003 du Centre d’Études sur la Cyberpsychologie à l’Université de Montréal
  • Fondation en 2006 du groupe de recherche Psychologie des Médias Numériques à l’Université de Paris
  • Lancement en 2008 du premier Master en Cyberpsychologie à l’Université de Lausanne

Diversification (2010-présent)

La dernière décennie a vu une explosion des domaines d’application, avec l’avènement des smartphones, de la réalité virtuelle, de l’intelligence artificielle et des objets connectés. La cyberpsychologie s’est progressivement institutionnalisée et a gagné en reconnaissance académique.

En France, la Société Française de Cyberpsychologie (SFC) est créée en 2015, tandis que la Belgique accueille en 2019 le Centre Européen de Recherche en Psychologie Numérique à Bruxelles.

Principales sous-disciplines

La cyberpsychologie contemporaine s’articule autour de plusieurs branches spécialisées:

1. Psychologie des médias sociaux

Cette branche étudie comment les plateformes sociales influencent l’identité, l’estime de soi et les relations interpersonnelles. Les chercheurs comme Serge Tisseron en France ont mis en évidence des phénomènes spécifiques:

  • L’extimité (exposition volontaire de l’intimité)
  • La comparaison sociale en ligne
  • Les dynamiques de groupe virtuelles
  • L’influence des « likes » sur l’estime de soi

2. Psychologie de la réalité virtuelle et augmentée

Centrée sur l’immersion et la présence psychologique dans les environnements virtuels, cette sous-discipline explore:

  • Le traitement cognitif des environnements simulés
  • Les applications thérapeutiques (phobies, TSPT)
  • Les changements perceptifs et corporels
  • L’embodiment (incarnation) virtuel

L’Université de Genève possède l’un des laboratoires les plus avancés d’Europe dans ce domaine, développant notamment des thérapies innovantes basées sur la réalité virtuelle.

3. Cyberaddictions et usages problématiques

Cette branche étudie les comportements compulsifs liés aux technologies numériques:

  • Dépendance aux jeux vidéo (reconnue par l’OMS en 2018)
  • Usage problématique des smartphones
  • Addiction aux réseaux sociaux
  • Comportements de « binge-watching »

En France, le Centre Hospitalier Marmottan à Paris est devenu une référence pour le traitement des cyberaddictions, développant des protocoles spécifiques adaptés à la culture française.

4. Cyberpsychologie clinique

Se concentre sur les applications thérapeutiques des technologies numériques:

  • Thérapies en ligne et téléconsultation
  • Applications de santé mentale
  • Interventions assistées par ordinateur
  • Réalité virtuelle thérapeutique

La pandémie de COVID-19 a considérablement accéléré le développement de cette branche, avec une adoption massive des consultations psychologiques à distance dans l’ensemble de l’espace francophone européen.

Psychologie numérique. Image: UCAR

Méthodologies de recherche et cadres théoriques

Approches méthodologiques spécifiques

La cyberpsychologie emploie un éventail de méthodologies adaptées à la nature unique des environnements numériques. Ces approches combinent souvent des méthodes traditionnelles de la psychologie avec des outils technologiques innovants.

1. Méthodes quantitatives en ligne

Les chercheurs francophones ont développé des protocoles rigoureux pour la collecte de données quantitatives:

  • Questionnaires en ligne: Adaptés aux spécificités culturelles européennes, ils permettent d’atteindre de larges échantillons. L’Université de Liège a développé la plateforme PsyQuest, spécifiquement conçue pour les études cyberpsychologiques en contexte francophone.
  • Analyse des traces numériques: Cette approche, particulièrement développée à l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne, utilise les données générées par les utilisateurs pour analyser les comportements en ligne. Comme l’a souligné le chercheur Michel Désautels« Les métadonnées numériques constituent une mine d’or pour comprendre les comportements réels, non déclaratifs ».
  • Expérimentations contrôlées en ligne: Ces protocoles permettent de manipuler des variables dans des environnements virtuels contrôlés. Le Laboratoire de Cognition Numérique de l’Université de Lyon a été pionnier dans l’adaptation des paradigmes expérimentaux classiques aux interfaces web.

2. Méthodes qualitatives adaptées

Les approches qualitatives ont été reformulées pour s’adapter aux contextes numériques:

  • Ethnographie virtuelle: Cette méthode, popularisée en France par Christine Hine, implique l’immersion du chercheur dans des communautés en ligne pour observer les interactions naturelles. Les chercheurs belges ont notamment appliqué cette approche à l’étude des forums de santé mentale.
  • Entretiens médiatisés: Conduits via visioconférence ou messagerie instantanée, ils permettent d’explorer l’expérience subjective des utilisateurs. Les protocoles développés à l’Université de Fribourg intègrent l’analyse des comportements non-verbaux numériques (émojis, temps de réponse).
  • Analyse de contenu numérique: Cette approche examine systématiquement les productions textuelles et multimédia en ligne. Les chercheurs suisses ont développé des grilles d’analyse adaptées aux spécificités linguistiques du français.

3. Méthodes mixtes et innovations méthodologiques

La recherche francophone se distingue par son approche intégrative:

  • Triangulation méthodologique: Combinaison de données physiologiques, comportementales et déclaratives. Le Centre de Recherche en Neurosciences de Lyon a développé des protocoles associant eye-tracking, mesures électrodermales et questionnaires.
  • Living labs numériques: Ces laboratoires vivants, comme celui de l’Université Catholique de Louvain, créent des environnements d’observation semi-naturels où les interactions avec la technologie peuvent être étudiées longitudinalement.
  • Science participative: Des initiatives comme Psycho-Sciences Participatives en France mobilisent des milliers de participants via des applications mobiles pour contribuer à la recherche en cyberpsychologie.

Cadres théoriques fondamentaux

La cyberpsychologie s’appuie sur plusieurs cadres conceptuels qui structurent sa compréhension des phénomènes numériques:

1. Théories de la présence et de l’embodiment

Ces théories explorent comment nous existons psychologiquement dans les espaces virtuels:

  • Présence sociale: Développée par les chercheurs français Biocca et Harms, cette théorie explique comment nous percevons les autres dans les environnements médiatisés.
  • Théorie de l’incorporation numérique: Élaborée à l’Université de Genève, elle analyse comment nous « habitons » des avatars ou des representations virtuelles.
  • Modèle de la présence spatiale: Ce cadre conceptuel, raffiné par les équipes belges, décrit les mécanismes par lesquels nous nous sentons « présents » dans des environnements virtuels malgré leur nature artificielle.

2. Théories de l’identité numérique

Ces approches examinent la construction et la présentation de soi en ligne:

  • Théorie de l’identité distribuée: Proposée par Serge Tisseron, elle suggère que notre identité se fragmente et se distribue à travers différentes plateformes.
  • Modèle du soi étendu numérique: Développé à l’Université de Neuchâtel, ce modèle conçoit nos possessions et productions numériques comme des extensions psychologiques du soi.
  • Théorie de la performance identitaire: Issue des travaux franco-belges, elle analyse comment nous « performons » différentes facettes identitaires selon les contextes numériques.

3. Théories des relations et interactions médiatisées

Ces cadres théoriques expliquent les dynamiques relationnelles en ligne:

  • Théorie de la réduction des indices sociaux: Elaborée par Joseph Walther et adaptée au contexte francophone, elle explique comment la communication médiatisée modifie les interactions sociales.
  • Modèle de la communication hyperpersonnelle: Ce modèle, dont les applications ont été approfondies en Suisse romande, explique pourquoi certaines relations en ligne deviennent particulièrement intenses.
  • Théorie de la télépresence relationnelle: Développée en Belgique, elle conceptualise la sensation de proximité émotionnelle malgré la distance physique.
Réalité virtuelle thérapie. Ramsay Services

Applications pratiques et impact sociétal

Applications dans le domaine de la santé mentale

La cyberpsychologie a profondément transformé les pratiques cliniques dans l’espace francophone européen:

1. Téléconsultation psychologique

La téléconsultation s’est rapidement développée, particulièrement après la crise sanitaire de 2020:

  • En France, la plateforme DoctoLib a enregistré une augmentation de 400% des consultations psychologiques à distance entre 2019 et 2021.
  • En Suisse, l’assurance maladie prend désormais en charge les séances de psychothérapie à distance, suite au rapport positif de l’Office Fédéral de la Santé Publique (2022).
  • En Belgique, le projet PsyConnect a permis de former plus de 3000 professionnels aux spécificités de la relation thérapeutique médiatisée.

Comme le souligne la psychologue Marie Barthelet« La téléconsultation n’est pas une simple transposition du présentiel, mais nécessite une adaptation complète du cadre thérapeutique et des techniques d’intervention ».

2. Thérapies numériques

Les applications thérapeutiques basées sur les principes de la cyberpsychologie ont connu un essor considérable:

  • L’application MindDoc, développée à l’Université de Lyon, propose des interventions basées sur la thérapie cognitive-comportementale adaptées au contexte culturel francophone.
  • Le programme VirtualPhobie, créé en Belgique, utilise la réalité virtuelle pour traiter les troubles anxieux avec un taux de succès de 68% selon une étude de 2021.
  • En Suisse, la clinique La Source à Lausanne a intégré des thérapies par exposition virtuelle pour le traitement des phobies et du stress post-traumatique.

Des études menées à l’Hôpital Universitaire de Genève montrent que ces approches atteignent une efficacité comparable aux thérapies traditionnelles pour certains troubles, avec l’avantage d’une meilleure accessibilité.

3. Prévention et détection précoce

Les outils issus de la cyberpsychologie permettent désormais d’identifier et d’intervenir plus rapidement:

  • Le système DetectMood, développé par des chercheurs français, analyse les patterns d’utilisation du smartphone pour détecter les signes précoces de dépression.
  • La plateforme suisse PrévenSuicide utilise des algorithmes de traitement du langage naturel pour identifier les publications à risque sur les réseaux sociaux et déclencher des interventions.
  • Le programme belge CyberPrévent forme les professionnels de l’éducation à repérer les signes de cyberaddiction chez les adolescents.

Applications dans l’éducation et la formation

La cyberpsychologie a également révolutionné les approches pédagogiques:

1. Apprentissage personnalisé

Les principes de la cyberpsychologie ont permis de développer des environnements d’apprentissage adaptés aux profils cognitifs individuels:

  • Le Laboratoire d’Innovation Pédagogique Numérique de Sorbonne Université a conçu des parcours d’apprentissage qui s’ajustent en temps réel aux performances et préférences de l’apprenant.
  • En Suisse, le projet AdaptLearn de l’EPFL utilise l’eye-tracking et l’analyse comportementale pour optimiser la présentation des contenus pédagogiques.
  • L’Université de Louvain a développé CogniLearn, un système qui adapte les méthodes d’enseignement aux styles cognitifs des étudiants.

2. Réalité virtuelle et augmentée éducative

Les technologies immersives transforment l’expérience d’apprentissage:

  • L’École Nationale Supérieure des Arts et Métiers en France utilise des environnements virtuels pour la formation technique, réduisant de 40% le temps d’acquisition des compétences pratiques.
  • Le Laboratoire de Didactique Immersive de l’Université de Genève a démontré que l’apprentissage en réalité virtuelle améliore la rétention mnésique de 35% pour certaines matières scientifiques.
  • En Belgique, le projet HistoVR permet aux élèves d’explorer des reconstitutions historiques, augmentant significativement l’engagement et la compréhension des contextes historiques.

3. Gestion des comportements problématiques

La cyberpsychologie apporte des solutions aux nouveaux défis éducatifs:

  • Le programme français CyberRespect applique les principes de la psychologie comportementale pour prévenir le cyberharcèlement en milieu scolaire.
  • L’initiative suisse DigiDetox propose des protocoles basés sur la pleine conscience numérique pour gérer la surexposition aux écrans.
  • Le projet belge AttentionBoost utilise des techniques de gamification pour améliorer la concentration des élèves dans les environnements numériques.

Applications dans le monde professionnel

Le milieu du travail a également été transformé par les applications de la cyberpsychologie:

1. Télétravail et collaboration virtuelle

Les recherches en cyberpsychologie ont permis d’optimiser les nouvelles formes de travail:

  • L’Observatoire du Travail à Distance à Paris a élaboré des recommandations basées sur la recherche pour maintenir la cohésion d’équipe et le bien-être psychologique en télétravail.
  • En Suisse, VirtualTeams propose des formations fondées sur la cyberpsychologie pour améliorer le leadership à distance.
  • Les chercheurs belges ont développé le modèle SCOPE (Social Connection in Online Professional Environments) qui structure les interactions professionnelles à distance.

2. Recrutement et évaluation des compétences

Les processus RH intègrent désormais des approches issues de la cyberpsychologie:

  • La méthode DigiRecruit, développée en France, utilise des simulations virtuelles pour évaluer les compétences comportementales des candidats.
  • L’Assessment Center Virtuel de l’Université de Lausanne permet d’observer les comportements professionnels dans des environnements simulés.
  • L’approche belge CompetenceScan combine des tests cognitifs en ligne et l’analyse des interactions virtuelles pour une évaluation holistique.
Comportement en ligne. Image: LeSoir

Défis éthiques, perspectives futures et spécificités francophones

Enjeux éthiques et considérations déontologiques

La pratique et la recherche en cyberpsychologie soulèvent des questions éthiques majeures, particulièrement dans le contexte réglementaire européen:

1. Protection des données et confidentialité

Le cadre juridique européen impose des contraintes spécifiques:

  • Le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) a profondément transformé les pratiques de recherche en cyberpsychologie. Comme l’observe Élisabeth Delaherche, présidente du Comité d’Éthique de la Société Française de Cyberpsychologie: « Le RGPD n’est pas seulement une contrainte légale, mais une opportunité de repenser notre relation aux données psychologiques ».
  • La Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) en France a développé un guide spécifique pour les chercheurs en cyberpsychologie (2020), établissant des protocoles stricts pour le recueil et le traitement des données comportementales en ligne.
  • En Suisse, le Préposé fédéral à la protection des données a mis en place un cadre particulièrement rigoureux pour les applications thérapeutiques, exigeant des niveaux de chiffrement supérieurs à la moyenne européenne.

L’enjeu principal reste la tension entre richesse des données et protection de la vie privée. Les chercheurs francophones ont développé des approches comme l’anonymisation dynamique et le consentement échelonné pour naviguer ces défis.

2. Consentement éclairé dans les environnements numériques

Les spécificités des interactions virtuelles complexifient l’obtention d’un consentement véritablement éclairé:

  • Le Laboratoire d’Éthique Numérique de l’Université de Strasbourg a démontré que les taux de lecture des formulaires de consentement en ligne sont inférieurs à 12%, remettant en question leur validité.
  • En Belgique, le Conseil Supérieur de la Santé a établi en 2021 des lignes directrices exigeant des mécanismes de vérification de la compréhension des implications du consentement pour les interventions psychologiques en ligne.
  • Le projet suisse ConsentLab a développé des interfaces innovantes utilisant la visualisation de données et les interactions ludiques pour améliorer la compréhension des enjeux du consentement.

3. Fracture numérique et accessibilité

Les inégalités d’accès constituent un défi éthique majeur:

  • En France, l’Observatoire des Inégalités Numériques rapporte que 17% de la population souffre d’illectronisme (difficultés à utiliser les outils numériques), créant des biais importants dans la recherche et l’accès aux services psychologiques en ligne.
  • Le Centre de Recherche pour l’Inclusion Numérique à Bruxelles a développé des protocoles adaptés aux personnes âgées et aux populations vulnérables pour les études cyberpsychologiques.
  • Le concept d’accessibilité cognitive, développé par des chercheurs suisses, élargit la notion d’accessibilité numérique en intégrant les différences de traitement cognitif des interfaces.

Perspectives futures et domaines émergents

La cyberpsychologie francophone se développe rapidement dans plusieurs directions innovantes:

1. Intelligence artificielle et systèmes adaptatifs

L’intégration de l’IA transforme le domaine:

  • Les agents conversationnels thérapeutiques développés à l’Institut des Systèmes Intelligents de Paris pionisent l’utilisation de l’IA dans le soutien psychologique de première ligne, avec des adaptations culturelles spécifiques au contexte francophone.
  • Le projet EmotIA à l’Université de Genève explore comment les systèmes d’IA peuvent reconnaître et répondre aux états émotionnels des utilisateurs, avec des applications dans la santé mentale et l’éducation.
  • En Belgique, le Centre d’Intelligence Artificielle Humaine développe des algorithmes capables d’adapter dynamiquement les interfaces numériques aux états attentionnels des utilisateurs.

La question fondamentale demeure: « Comment concevoir des systèmes d’IA qui respectent et enrichissent l’expérience psychologique humaine plutôt que de la manipuler? » selon Marc Debono, directeur du laboratoire CyberCognition à Lyon.

2. Neurocyberpsychologie

Ce domaine émergent combine neurosciences et cyberpsychologie:

  • Le Laboratoire de Neurosciences Cognitives de l’École Normale Supérieure utilise l’imagerie cérébrale pour comprendre les effets neuroplastiques de l’immersion en réalité virtuelle.
  • À Lausanne, le projet BrainVR explore comment les environnements virtuels peuvent être utilisés pour la réhabilitation cognitive après des lésions cérébrales.
  • L’Interface Cerveau-Machine Adaptative développée à Louvain permet d’ajuster les environnements numériques en fonction de l’activité cérébrale en temps réel.

3. Métavers et identités numériques avancées

L’émergence des métavers ouvre de nouveaux territoires:

  • Le Laboratoire des Identités Virtuelles à Sciences Po Paris étudie comment les expériences dans les métavers influencent la construction identitaire et les représentations sociales.
  • En Suisse, le projet MetaHealth explore les applications thérapeutiques des espaces virtuels partagés persistants.
  • L’équipe belge DigiSelf analyse les implications psychologiques de la présence prolongée dans des univers virtuels multimodaux.

Comme le note Caroline Dufresne de l’Université de Montréal: « Les métavers ne sont pas simplement des espaces de jeu, mais de véritables extensions de notre réalité psychologique qui transformeront profondément notre rapport au monde et à nous-mêmes ».

Spécificités de la cyberpsychologie dans l’espace francophone européen

La recherche et les pratiques francophones présentent des caractéristiques distinctives:

1. Approche culturelle et linguistique

Les travaux francophones se distinguent par:

  • Une sensibilité particulière aux nuances linguistiques dans la communication médiatisée. Les chercheurs de l’Observatoire des Discours Numériques à Paris ont démontré que les patterns d’expression émotionnelle en ligne diffèrent significativement entre les cultures anglo-saxonnes et francophones.
  • Une approche holistique intégrant plus fortement les dimensions sociales et culturelles. Contrairement à l’approche nord-américaine souvent plus individualiste, la tradition franco-belgo-suisse insiste sur les contextes collectifs d’usage.
  • Une attention accrue aux enjeux d’autonomie et de capacitation (empowerment) face aux grandes plateformes technologiques, reflétant des préoccupations culturelles plus larges concernant la souveraineté numérique.

2. Centres d’excellence et réseaux de recherche

L’espace francophone a développé un écosystème de recherche robust:

  • Le Réseau Européen de Cyberpsychologie Francophone (RECF), fondé en 2016, coordonne les efforts de recherche transnationaux et facilite les échanges entre laboratoires.
  • Le Centre Interdisciplinaire de Recherche sur le Numérique (CIRN) à Paris-Saclay constitue le plus grand pôle de recherche en cyberpsychologie d’Europe, avec plus de 120 chercheurs.
  • La Chaire de Psychologie Numérique de l’Université de Lausanne est devenue un centre d’excellence pour l’étude des identités numériques.
  • Le Brussels Virtual Reality Center combine expertise technique et psychologique pour développer des applications immersives culturellement adaptées.

Conclusion: Vers une cyberpsychologie culturellement intégrée

La cyberpsychologie représente bien plus qu’une simple extension de la psychologie traditionnelle aux environnements numériques. Elle constitue une transformation paradigmatique de notre compréhension de l’expérience humaine à l’ère numérique.

Dans l’espace francophone européen, cette discipline se caractérise par:

  • Une sensibilité aux contextes socioculturels des usages numériques
  • Une approche interdisciplinaire intégrant sciences humaines et technologies
  • Un questionnement éthique approfondi sur les implications des outils numériques
  • Une visée humaniste plaçant l’humain au centre des préoccupations technologiques

Comme l’affirme Philippe Verduyn, directeur du Département de Cyberpsychologie à l’Université de Liège: « La frontière entre mondes physique et virtuel devient de plus en plus poreuse. La cyberpsychologie n’étudie pas tant un nouveau domaine que la nouvelle réalité de l’expérience humaine contemporaine ».

Face aux défis numériques en constante évolution, la cyberpsychologie francophone continue de développer des approches innovantes qui respectent les spécificités culturelles tout en contribuant au corpus mondial de connaissances sur les interactions humain-technologie.

Dans la dernière partie, nous présenterons une bibliographie complète des références citées dans cet article, avec un accent particulier sur les ressources francophones.

Identité numérique
Identité numérique. Image: Playhooky

Bibliographie

Ouvrages fondamentaux

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Besnier, J. M. (2019). L’homme augmenté : Néotechnologies pour un dépassement du corps et de la pensée. Editions Fayard.

Biocca, F., & Levy, M. R. (2018). Communication in the Age of Virtual Reality. Routledge.

Bouchard, S., & Rivard, V. (2019). La réalité virtuelle en psychologie clinique. Presses de l’Université du Québec.

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Tisseron, S. (2021). L’intimité surexposée : Psychologie des réseaux sociaux. Éditions Ramsay.

Articles scientifiques

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Rapports et documents officiels

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Ressources en ligne et périodiques spécialisés

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Centre de Recherche pour l’Inclusion Numérique. (2023). Boîte à outils pour l’accessibilité numériquehttps://www.inclusion-numerique.be/outils/

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Moreau, A. (2022). L’impact des métavers sur la construction identitaire des jeunes adultes [Mémoire de master, Université Libre de Bruxelles]. DI-fusion. https://difusion.ulb.ac.be/handle/2013/ULB-DIPOT:oai:dipot.ulb.ac.be:2013/345672

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